Faut-il privilégier ou redouter les mesures d’expertises ?
L’expertise judiciaire, synonyme de coût et de délais, est parfois mal perçue.
Elle peut cependant s’avérer nécessaire voire décisive dans bien des cas, dès lors notamment qu’elle s’inscrit dans une stratégie bien définie, lorsqu’il s’agit de la solliciter ou de s’y soumettre, et qu’elle est suivie avec attention.
L’EXPERTISE A SES RAISONS…
Certaines situations sont d’une complexité technique qui dépasse les compétences du juge, qui doit alors s’en remettre au savoir d’un homme de l’art, dont les conclusions lui permettront ensuite de prendre position.
L’expert judiciaire a donc la lourde tâche de rendre intelligible et compréhensible une situation complexe par définition, qui fait appel à des données scientifiques et techniques le plus souvent inaccessibles au profane.
Il est à noter, toutefois, que l’expertise ne doit pas avoir pour objet de palier la carence des parties dans l’administration de la preuve, ce qui impose de présenter au juge un minimum d’éléments susceptibles de la justifier.
Il importe également d’être vigilant, dans la définition de ses contours. En effet, le champ d’intervention de l’expert est fixé par la décision qui l’a nommé, de sorte qu’il convient d’être précis et de ne pas s’en tenir aux missions-types issues de la pratique judiciaire.
UNE ATTENTION DE TOUS LES INSTANTS…
Si l’expert est désigné à raison de ses compétences dans un domaine particulier et qu’il lui revient de déterminer la conduite des opérations, il n’est pas, pour autant, investi du procès et se doit de répondre exclusivement aux questions qui lui sont posées.
Ceci est d’autant plus vrai qu’il ne lui appartient pas de porter une appréciation d’ordre juridique, sur la situation qui lui est soumise. En effet, cette mission appartient au juge, seul détenteur du savoir juridique, l’expert étant chargé, pour sa part, de donner un avis purement technique (principe qui doit cependant recevoir une atténuation lorsque le problème qui lui est soumis est lié à l’exécution d’un contrat et l’oblige à procéder, un tant soit peu, à une analyse des clauses contractuelles).
Il n’y a donc pas lieu de s’en remettre totalement à lui ; il appartient aux parties de poser les bonnes questions et de soumettre des observations et dires pertinents, ainsi que de veiller à ce qu’il y soit répondu.
L’expert doit, pour sa part, accomplir personnellement sa mission avec conscience, célérité, objectivité et impartialité.
Il ne peut toutefois avoir réponse à tout. Un bon expert doit donc savoir reconnaître ses limites et faire appel, lorsque les questions posées excèdent ses propres compétences, à un technicien d’une autre spécialité que la sienne, généralement dénommé « sapiteur ».
Certaines pratiques ne font toutefois l’objet d’aucune disposition légale ; ainsi, notamment, de la pratique très répandue du pré-rapport. Cependant, il est acquis que les parties doivent pouvoir présenter des observations sur ce dernier, avant le dépôt du rapport définitif ; à défaut, le juge devra écarter celui-ci, pour violation du principe du contradictoire.
Le respect de ce principe est, en effet, une obligation majeure, tant pour les parties que pour l’expert ; il peut arriver que des incidents surgissent, à cet égard, dont certains peuvent aller jusqu’à envisager une récusation de l’expert. Toutefois, les conditions d’une telle procédure sont strictes et elle a peu de chances d’aboutir, indépendamment du fait qu’elle pourrait être perçue par le juge comme une tentative d’évincer l’expert…
Une autre solution peut consister à saisir le juge en charge du contrôle des expertises, qui pourra entendre les parties sur la difficulté qui lui aura été signalée.
Enfin, il est toujours possible de demander la nullité de l’expertise. Mais les décisions d’annulation sont rares et cela n’empêchera pas le juge de se référer, malgré tout, aux constatations auxquelles il aura pu être procédé, à titre de renseignements.
UN RISQUE DE PRE-JUGEMENT ?
La parole de l’expert a un poids certain ; elle ne peut être évidemment confondue avec la décision à intervenir mais a une influence sur les magistrats, spécialement si les conclusions du technicien procèdent d’une analyse précise et rigoureuse…
Il est d’ailleurs difficilement reprochable à un magistrat qui a estimé nécessaire de recourir à un expert, de ne pas tenir compte de ses conclusions.
La situation n’est cependant pas toujours aussi simple, les travaux des experts ne se valant pas ; ils peuvent être excellents mais aussi marqués par des imprécisions ou confusions, ce qui alimentera la discussion, plutôt que d’y mettre un terme.
Il est alors tentant de remettre en cause le rapport qui a été présenté.
Toutefois, les magistrats sont assez réticents à ordonner une nouvelle expertise, même lorsqu’il apparaît que les travaux réalisés ne donnent pas totale satisfaction.
Il conviendra alors d’examiner si la procédure a été conduite avec régularité ou de solliciter, en parallèle, l’avis d’un autre technicien ; la pratique a montré l’intérêt d’une telle initiative.
UNE OPPORTUNITE POUR CONCILIER ?
Il est interdit de donner à l’expert la mission de concilier les parties, dès lors que celle-ci appartient au seul juge. L’expert a la faculté de constater l’accord des parties mais ne peut en être l’instigateur.
Or, on ne voit pas pour quelle raison l’expertise judiciaire ne pourrait pas être un moyen de règlement des litiges, dans un monde où médiation et conciliation prennent de plus en plus d’importance.
Pourquoi l’expert judicaire, auxiliaire de justice, se bornerait-il à être la « chambre d’enregistrement » d’un accord intervenu à l’occasion de ses opérations ? Pourquoi ne pourrait-il pas, fort de ses constatations et convictions, engager les parties à se mettre autour de la table des négociations ?
En effet, l’expertise judiciaire peut constituer un terrain favorable à la conciliation, dans la mesure où elle permet souvent aux parties de mesurer le risque attaché à une procédure qui peut être longue, coûteuse et aléatoire.
Sonia HARNIST
Avocat
16 rue des Greffes
30000 NIMES